La Planète Six

Les villes : partie 6

Detroit

Difficile de trouver endroit plus emblématique du déclin des mégalopoles américaines que Detroit.

La ville connait un développement fulgurant durant la première moitié du XX.s après qu’un certain Henry Ford y installe sa première usine pour y fabriquer la célèbre Ford T. Cette voiture, fabriquée en un temps record grâce au travail à la chaine, fera sa fortune. L’industrie automobile toute entière s’implante alors à Detroit. La population passe de 250 000 habitants à près de 2 millions.

Mais l’arrivée d’une main-d’œuvre noire bon marché à partir des années 20 exacerbe les conflits raciaux. Le Ku Klux Klan, Black Legion et autres notables encagoulés défendent de façon très violente, croix enflammée à la main, une vision de l’Amérique exclusivement WASP. En 1967, éclatent les émeutes les plus sanglantes de l’histoire du pays. Les classes moyennes blanches quittent massivement le centre-ville au profit des banlieues. L’industrie suit, laissant la ville à une population pauvre et faiblement éduquée. La crise qui éclate en 2008 amplifie le mouvement. Le rêve américain finit de se briser en 2013, année où la ville se déclare en faillite, du jamais-vu. Aujourd’hui, Detroit ne compte plus que 700 000 habitants.

Le moyen de résister pour ceux qui restent : la musique bien sûr.

Dès les années 30, les clubs de jazz et de blues investissent les quartiers majoritairement noirs de Black Bottom et Paradise Valley. Ironie de l’histoire, c’est en démolissant une grande partie de ces quartiers au début des années 60 pour y construire une autoroute que débute l’exode urbain. A la même époque naquit l’un des labels les plus prolifiques au monde : Motown Records. Marvin Gaye, The Temptations, Stevie Wonder, Diana Ross & The Supremes, Smokey Robinson & The Miracles, The Four Tops, Martha Reeves & the Vandellas, Edwin Starr, Little Willie John, The Contours and The Spinners...c’est un raz de marée Soul qui déferle sur la ville...avant de recouvrir le monde.

Le Rock and Roll n’est pas en reste. Iggy Pop et ses Stooges pavent le chemin à Alice Cooper et aux Whites Stripes. Du coté du hip-hop, Eminem deviendra très vite le porte parole des classes populaires blanches tandis que le groupe Insane Clown Posse distille son rap apocalyptique avant que Danny Brown impose sa voix haut-perchée.

Mais impossible d’évoquer Detroit sans passer par la techno, inventée ici même au milieu des années 80 par Juan Atkins, Derrick May, Kevin Saunderson et Carl Craig. Partis de bidouillages électroniques, en puisant dans l’incroyable culture musicale de la ville et en l’associant à la musique expérimentale européenne, ces quatre là donneront naissance à une révolution mondiale. La jeunesse de tous pays reprendra leur message : " Quand tout s’écroule autour de vous, continuez de groover ". Un mode de résistance, façon Motor/Motown city.

Lors de récentes interviews, la vénérable Aretha Franklin, résidant en lointaine banlieue, ne cachait pas son envie d’ouvrir un club de jazz en plein centre de Détroit. Faut-il y voir l’annonce d’un renouveau musical ou plutôt d’un retour aux sources nostalgique ?