Sonate pour 2 pianos et percussions
Belà Bartok fut un fieffé coquin et cette sonate pour 2 pianos et percussions est là pour le prouver. Impossible en effet de l’écouter sans évoquer le talent avant-gardiste du compositeur hongrois mais aussi son rapport intime avec la musique. Car si son attrait pour l’aristocratie et le nationalisme lui furent légué par son père, on peut deviner que son goût pour la musique lui est venue par sa première professeure de piano, sa mère.
Dans la Hongrie de 1937, alors que le régime nationaliste de Miklós Horthy faisait les yeux doux à Hitler en pourchassant communistes, juifs, roms, et francs-maçons, et en soupçonnant de déviance intellectuelle les musiciens sortant du cadre classique, il fallait oser composer une telle sonate. Car les percussions dans la musique occidentale n’ont pas toujours eu l’importance qu’elles occupent à l’heure actuelle, loin s’en faut.
Étroitement liées aux troubadours ou aux armées en ordre de bataille, les compositeurs classiques ont longtemps snobés ces instruments, ne les utilisant que pour marquer des effets très appuyés de ponctuation ou pour évoquer des marches militaires voire des ambiances orientalistes. On qualifiait même l’usage de cymbale de turquerie !
Ce n’est qu’au début du XXém siècle que timbales, grosses caisses, tambour, triangle, et cymbales commencent à gagner en notoriété. Elles sont ainsi très présentes dans le Sacre du printemps de Stravinski tandis qu’Edgar Varèse est un des premiers, en 1931, dans Ionisation, à écrire une œuvre pour percussions uniquement.
Pour Bartok, les choses sont différentes. Le tambour fut le premier instrument qu’il tenu entre ses doigts, battant la mesure dès son plus jeune age lorsque sa mère jouait du piano. Qu’elle jouasse debout ou assise, on n’en sait trop rien. Mais l’influence qu’elle eu sur son rejeton est indéniable.
D’abord, Bartok deviendra lui même professeur de piano. Par deux fois, il épousera l’une de ses jeunes élèves. La première Marta, en 1909, n’avait alors que 16 ans. Il la quittera en 1923 pour Edith, qui à 20 ans n’a pas la moitié de l’age de son maitre. Ensuite, il entreprit de donner aux percussions une place prépondérante, loin de celle qu’elles occupaient jusqu’alors dans le répertoire classique. Bartók aurait-il été frustré par son rôle d’accompagnant qu’il occupait lorsqu’il se tenait debout devant sa mère, son tambour accroché autour du coup, admirant les grands doigts de cette institutrice se déplacer sur le clavier ? La fusion des instruments à cordes et des percussion à l’œuvre dans cette sonate créé avec sa seconde épouse exprimerait-elle un fantasme de petit garçon en culotte courte ? Nous laisserons à l’auditeur le soin de se faire sa propre idée à ce sujet.
Pour la musique proprement dite, voici ce que Jean et Brigitte Massin en disent dans leur "Histoire de la Musique occidentale" ( 1995 ).
"L’écriture instrumentale de la sonate représente une véritable leçon d’instrumentation contemporaine. Dans de nombreuses œuvres du 20e s. où la percussion est de plus en plus fréquemment employée, ses timbres situés entre bruits et sons s’intègrent souvent assez mal, "sautant" par rapport aux parties purement musicales, donnant une impression de gratuité ornementale. Or, dans la Sonate, l’homogénéité instrumentale est étonnante. Pianos et percussion avancent de pair : les pianos, employés dans tous leurs registres, adoptent un rôle percussif qui les rapproche des timbres de la batterie. Quant aux interventions de la percussion, elles sont toujours motivées par la structure de l’œuvre et sa thématique. Bartók démontre ainsi qu’être un bon musicien "d’avant-garde" ne tient pas seulement au choix d’une disposition instrumentale révolutionnaire, mais aussi à la façon de traiter cette instrumentation."
Repiquée depuis un disque vinyle pressè en 1976, El Rozé s’est donné le plus grand mal pour restituer cette œuvre. C’est notre cadeau de noël !